Dans les années 1820, la prise en charge des malades mentaux était assurée en grande partie par le secteur public mais il existait aussi des établissements privés qui accueillaient ce type de patients.
Laure Maurat a eu accès à une masse documentaire inédite, ayant trait à la carrière professionnelle du Dr Esprit Blanche (1796-1852) puis de son fils Émile Blanche (1820-1893) qui ont exercé de 1821 à 1893. Elle nous propose un ouvrage fort bien documenté, traitant de la vie sociale et culturelle du XIX° siècle par le biais de l’histoire des ces médecins dont on sait beaucoup moins de choses que de leurs patients illustres.
La période abordée est intéressante car elle fait la jonction entre les années où les fous étaient enchaînés dans des cachots et la découverte de la psychanalyse en 1895 puis des psychotropes (barbituriques 1903, amphétamines en 1931, phénothiazines en 1937 etc...)
En 1821, Pinel vient tout juste de libérer les aliénés de leurs chaînes, quand Esprit Blanche décide de faire l’acquisition d’une grande bâtisse que l’on peut toujours voir à quelques pas de la place du tertre sur la butte Montmartre. Il décide d’y accueillir des malades mentaux en superposant les structures du modèle asilaire à la pension de famille où les patients partagent leur repas avec la famille Blanche et où son épouse apporte souplesse, douceur et réconfort aux patients.
Les moyens psycho-pharmacologiques étant quasi nuls (Le bromure de potassium ne sera utilisé qu’en 1851 et le Chloral en 1869) et le Dr Blanche accordait une grande importance à l’approche psychologique. Certains comme Balzac ont évoqué le coût élevé de l’internement (5000 euro/an environ) il n'en reste pas moins que le désintéressement du Dr Blanche était tel qu’il l’a conduit à des difficultés financières sérieuses.
En 1852, il déménage son établissement dans l’hôtel de Lamballe à Passy (actuelle ambassade de Turquie) en face de la maison de Balzac. Esprit s’éteint la même année et passe le relais à son fils Émile qui va continuer à compenser la faiblesse des moyens scientifiques par une disponibilité et un temps conséquent consacré à ces malades si difficiles à cerner et à soigner.
Les traitements utilisés étaient comme ailleurs fort archaïques : hydrothérapie, sangsues, saignées, émétiques, huile de ricin, le but étant de " faire sortir ce qui est mauvais ". Même s’ils ne furent pas des pionniers, (Pinel et Esquirol les fondateurs de la (proto-) psychiatrie recevaient les patients chez eux) les docteurs Blanche furent des novateurs en structurant les idées nouvelles en matière de prise en charge des malades mentaux. Il apparaissent comme des personnalités courageuses, énergiques, dévouées, généreuses et attachantes.
Le livre de Laure Murat décrit de façon extrêmement minutieuse les cas cliniques de deux patients incurables pris en charge par le Dr Blanche : Gérard de Nerval (PMD) et Guy de Maupassant (PG). Ces descriptions sont particulièrement intéressantes.
Elle relate aussi le cas de malades intermittents comme Charles Gounod (PMD) et la comtesse de Castiglione, celui de Théo Van Gogh que Blanche reçoit en consultation et elle nous fait vivre l’angoisse de Jules Verne et d’Ernest Renan qui consultent Blanche en pères inquiets pour la santé mentale de leur fils.
Et puis, au fil des pages, c'est tout le gotha de la jetset de l’époque qui vient rendre visite à des amis ou à des parents, citons Alfred de Vigny, Hector Berlioz, Eugène Delacroix, Alexandre Dumas, Théophile Gautier, Édouard Manet, Auguste Renoir, Edgar Degas...
Le livre de Laure Murat s’achève sur l’image d’une petite fille qui, de sa fenêtre, épie le jardin de la maison du Dr Blanche. Elle est fascinée par ces patients qui hurlent et ces infirmières qui tentent de les calmer. On lui a parlé de Maupassant, elle croit l’avoir repéré. Des années plus tard, cette petite fille prendra le relais de toute cette histoire en devenant une psychanalyste mondialement connue sous le nom de Françoise Dolto.
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